Yamabushi, templiers de l'Orient

Les Yamabushi, Templiers de l'Orient

Les montagnes sont sacrées au Japon...

                                   En mettant leur vie en jeu, les Yamabushi se purifient des souillures de la condition humaine.

Perché sur un escarpement, un homme au crâne rasé souffle dans une conque pour encourager les marcheurs qui grimpent vers le sommet. Tous portent le costume blanc et safran et sont munis du long bâton de pèlerin. C'est le premier arrêt depuis que le groupe a quitté l'ermitage de Zenki., il y a près de deux heures. A perte de vue, la forêt monte en vagues serrées à l'assaut des cimes montagneuses. Devant le groupe se dressent sur le bord du sentier, deux énormes rochers verticaux, espacés de deux mètres environ.. Ils surplombent le vide. Immobiles, les hommes récitent des litanies bouddhiques et des invocations rituelles. Puis ils montent un à un, sur l'étroite corniche à mi-hauteur qui fait le tour des deux blocs. S'agrippant aux aspérités de la première roche, dos ou face au vide, ils longent la paroi, avant de sauter sur la seconde pour la contourner à son tour.

Pour tourner autour de la roche de l'égalité : Essai de la</p />
</p><p> faire le tour en varape pendant le pélerinage d'Omine

 

A flanc de montagne, au cœur de la forêt, une série de sanctuaires jalonne le sentier des crêtes. Nous sommes au cœur des monts Ominé, une chaîne qui traverse du nord au sud la péninsule de Kii, sur la cote Est du Japon, en dessous de la ville d'Osaka. Ces hommes, en orange et blanc, sont des Yamabushi (Ceux qui couchent dans la montagne), adeptes du Shugendô. L'épreuve dite des " deux pierres " qu'ils viennent d'accomplir est l'un des nombreux défis qui jalonnent un parcours initiatique pratiqué en ces lieux depuis l'antiquité.

Les Yamabushi sont à l'Orient ce que les Templiers sont à l'Occident. La forêt de l'Ominé est au Japon ce que la forêt de Brocéliande du mage Merlin est aux Bretons : Un lieu magique, chargé de mythes et de légendes.

Littéralement Shugendô signifie : voie de l'obtention de pouvoirs divins par la pratique de l'ascèse.

Lieux et montagnes sacrés au Japon

 

Le Shugendô, la "religion des montagnes"

C'est la "Voie de l'acquisition de la puissance divine par la pratique vertueuse de l'ascèse". Ce courant spirituel, à la croisée du bouddhisme ésotérique et de l'animisme, toujours très vivace au 21ème siècle, est mentionné au Japon dès les premiers livres au VIIIème siècle.

A l'origine, les Japonais considéraient les montagnes comme le Pays de l'Au-delà, " un autre monde " qui était interdit au profane. Les sommets étaient alors peuplés de divinités terribles, dispensatrices de châtiments pour ceux qui enfreignaient les règles sociales ou sacrées, pourvoyeuses de nourriture et de vie pour les autres. Par la suite,  il y a 1.000 ans, le Shugendô a assimilé ces puissances autochtones (appelées " Dieux de la Montagne / yama no kami ") aux diverses divinités du bouddhisme ésotérique des écoles Shingon et Tendaï. En suivant un ensemble de règles, de rites et d'exercices ascétiques, le Yamabushi cherche, encore aujourd'hui, à s'unir à ces divinités. En retour, il acquiert des " pouvoirs ", qu'il peut utiliser dans la société à travers des pratiques de divinations, d'oracles, de magie, de guérison.

Au Japon, forêts et montagnes sont indissociables. Occupant les deux tiers du pays, elles sont omniprésentes, jusque dans l'imaginaire de ses habitants.. Si bien que dans le Shugendô, appelé " Religion des Montagnes ", les arbres et les rochers, la nature en général, jouent un rôle fondamental. Chaque lieu sacré, dédié à une divinité, est ainsi protégé par une enceinte boisée qui représente le témoignage de la plus ancienne forme de culte au Japon : L'arbre (ou la branche coupée revêtue des bandes de papiers sacrés) sur lequel les puissances divines de l'au-delà sont invitées à descendre, le temps du rite.

Dès le Xème siècle, le " Pays des Arbres " (péninsule de Kii) devient le haut-lieu du Shugendô. Les versants de ses moyennes montagnes ont une altitude qui varie entre mille et deux milles mètres. Les feuillus et conifères se mêlent à une végétation sub-tropicale. Les sous-bois sont remplis d'animaux sauvages et d'insectes.

La région de Kumano (berceau de nombreuses traditions martiales et animistes), à la pointe de la péninsule de Kii est particulièrement luxuriante. Chênes, pins, châtaigniers, cryptomerias, se mélangent aux " Camélias sauvages " nommés " Lotus de montagne ". Ces lotus sont considérés comme " Trésor National " et se joignent aux rodhodendrons, camphriers et palmiers. Ces zones inaccessibles à tout engin motorisé conservent leurs trésors naturels.

A partir du VIIIème siècle, les adeptes du Shugendô se rassemblent sur la chaîne des monts Ominé instituée " Forteresse et lieux d'entraînement fondamental ". Ils y fondent deux ensembles de temples et d'ermitages : au sud, celui des trois montagnes de Kumano (avec les centres de Hongu, Shingu et de Nachi, célèbre pour sa cascade, la plus haute du Japon) et, au Nord, celui du village du mont Yoshino. C'est à partir de ce dernier que se déroulent quatre fois par an des pèlerinages nommés " Rites d'Entrée dans la montagne ".

En été et en hiver, durant les périodes des pluies tropicales ou des grands froids sibériens, les Yamabushi se retirent en retraite dans les ermitages, les cavernes et les grottes où ils vivent en solitaire, se nourrissant de plantes sauvages et de baies !

Au printemps et à l'automne, Ils parcourent les cent quatre vingt kilomètres reliant le village de Yoshino à la ville portuaire de Kumano par la ligne des crêtes en groupe réunissant plusieurs centaines de marcheurs. Un chemin ponctué d'épreuves rituelles secrètes sur soixante-quinze stations ou arrêts, dédiées au service des Bouddhas et divinités.

Ces rites sont repris par tous les centres de Shugendô établis dans sur les différentes montagnes du pays. Au cours des siècles suivants, les Yamabushi, en circulant de villages en villes, diffusent leur enseignement dans la société japonaise, notamment dans les milieux populaires. En 1872, à l'ère Meiji, les pratiques syncrétiques du shugendô sont décrétées " superstitieuses " par le pouvoir impérialiste et sont interdites. Néanmoins des temples comme le Shogoin continueront leurs pratiques malgré l'interdiction.

Elles ne reprirent ouvertement qu'après 1945, avec le rétablissement de la liberté de culte. Le parcours d'ascèses des monts Ominé est alors réouvert, d'abord sur la moitié Nord, puis sur toute la longueur au début des années 1980. C'est dans ce contexte que j'engageai mes études et pratiques sur le Shugendô, tout d'abord comme Yamabushi laïc durant dix ans, puis comme religieux du temple Shogoin depuis 1990. Cela me conduisit à effectuer de nombreuses fois, en groupe puis en solitaire le pèlerinage de " l'entrée dans la montagne " dans les monts Ominé, en passant par le Mt Sanjo, 1789 mètres, la Mecque du Shugendô, dont l'accès demeure toujours prohibé aux femmes. C'est ici, sur la montagne la plus sacrée que les hommes subissent, à la fin du premier jour de leur pèlerinage, diverses épreuves que les femmes ne connaissent que par les récits.

Après s'être purifiés dans les eaux du fleuve qui coule aux pieds du massif de Yoshino, ils passent sous le Portique du même nom, pour aller s'incliner ensuite devant les divinités des temples et sanctuaires du village qui marquent l'entrée. L'ascèse commence avec les douze heures de marche quotidiennes, suivies des épreuves en fin de journée sur les deux zones du sommet du mont Sanjo : Les zones des "Trois Sites Externes" Omoté-gyoba) et celui des dix-huit sites internes (Ura-gyoba). Ensuite les Yamabushi doivent escalader le "Rocher de la Cloche accrochée  (Kané-kaké-iwa), réciter les textes et invocations devant "la pierre de la Tortue" (Kamé-Ishi).

Puis les néophytes sont suspendus par la taille et les chevilles au-dessus d'un précipice. La vie du novice dépend alors de ceux qui le retiennent par les cordes. Lors de cet exercice redoutable nommé " l'aperçu de l'Ouest (Nishi-no-Nozoki), le néophyte est contraint d'avouer ses fautes et ses mauvaises actions et promet de respecter désormais toutes les règles religieuses et séculières.

Cette épreuve terrifiante est refaite dans la "zone interne des 18 sites  avec "l'aperçu de l'Est  (Higashi-no-Nozoki), qui est encore plus vertigineuse car la roche s'effrite ... Autrefois, certains en seraient morts : la gravité de leurs fautes et péchés les aurait fait tomber dans l'abîme !

Les Yamabushi traversent ensuite de longs et étroits conduits rocheux baptisés "Passage à travers l'utérus" (Tainai-kuguri) pour une renaissance spatiale, et le "Pertuis des fourmis" (Ari-no-tô-watari), avant de faire le tour d'une roche dressée au-dessus d'un gouffre, dont seulement quelques saillies offrent des points d'appui pour le franchir face tournée vers le vide : C'est Byodo-Iwa, le Rocher d'Egalité. Cette étape s'achève par un service religieux et un rituel du feu à l'extérieur devant le monastère au sommet du mont Sanjo, là où le dieu Zao-Gongen apparu au fondateur anachorète du Shugendô : Au VIIème siècle, En-no-gyoja y fit une retraite de mille jours.

Les expériences extrêmes que les Yamabushi ont vécues au cours de cette journée constituent à la fois le moyen et le but de ces pratiques. En mettant leur vie en jeu, ils se purifient des souillures inhérentes à la condition humaine. A travers les souffrances du corps semblables aux mortifications, les Yamabushi prennent conscience de leur dimension spirituelle, se fondant ainsi avec les dieux, les Bouddhas et l'Univers.  Entendre le murmure du vent au sommet des montagnes, c'est entendre le sermon du bouddha " disent les Yamabushi. Le lendemain, la colonne des hommes rejoint celle des femmes au lieu-dit du " Retour de l'Ascète " (Gyoja-gaéri) après être passé devant la "Caverne de la flûte" (Shô-no-iwaya) qui est un des lieux les plus célèbres des monts Ominé. Là, soixante-quatre ascètes, en 1.300 ans, s'y sont succédés pour y faire des retraites méditatives.

En suite, les Yamabushi suivent la ligne des cîmes, en passant par les pics les plus hauts de la péninsule : Le Mt  Sumisen, le Mt du Bouddha Sakyamuni, jusqu'à " l'oratoire de l'ermite " (Jinsen-no-yado) et l'ermitage de l'ogre mâle (Zenki), situés à mi-chemin dans les monts Ominé.. Tous gagnent ensuite les trois sanctuaires de Hongu, Shingu et Nachi, pour finir à la source thermale et miraculeuse de Yu-no-miné. C'est le plus vieux " onsen " (bain sulfureux) du Japon qui fut découvert par l'ascète En-no-gyoja pour revitaliser son corps meurtri par les périodes ascétiques. Si les 3 sanctuaires de Kumano sont le but ultime du parcours, la source thermale est l'étape finale ! Ce périple est une interminable et harassante marche de douze heures par jour sur plusieurs journées, ponctuées de fréquents arrêts pour des récitations de prières et mantra. Quelle marche! Faite de montées et descentes incessantes sur des crêtes ondulant de 800 à 2.000 mètres d'altitude. Cette marche se déroule dans un décor sublime pour celui qui a la force de relever l'échine.

Les Yamabushi doivent progresser sur d'étroits sentiers bordés de précipices, franchir des éboulis instables, escalader des pentes raides sur des échelles en bois, passer des roches en varappe et se frayer une route à travers les rideaux de bambous nains aux feuilles coupantes. Les racines des arbres sont autant de mains démoniaques qui entravent les pieds. Les feuillages des arbustes épineux fouettent les visages de mille aiguilles. Les sangsues se laissent tomber des branches dans les cols des vestes et se mettent à pomper avidement le sang des corps ruisselants de sueur.

Conference du Gomonshu Miyagi Tainen en juin 2011

"Nembutsu bridge" before Gyoja Gaéri with Gomonshu Miyagi & Kuban 1989

Dans cette végétation luxuriante, les Yamabushi, en une longue file indienne blanche se détachant sur un fond de forêt sombre, rythment leurs pas en chantant des litanies ponctuées par des les appels des conques qui se répondent. Le son de cet instrument est la " Voix du Bouddha " qui rallie et soutient les hommes, célèbre les dieux, protège de la charge des animaux sauvages et écarte les forces mauvaises. Tout au long de cette marche exténuante, les Yamabushi livrent un âpre combat contre la fatigue, la faim et la soif. Ils doivent obéir aux ordres des guides et des anciens, respecter les règles du groupe, écouter les enseignements dispensés lors des 75 arrêts du parcours.

Pour les adeptes du Shugendô, ces épreuves correspondent à celles qu'endure l'âme au cours de son séjour dans les " 10 mondes " (Jukai-shugyo). En les subissant à l'avance, ils s'en trouvent exemptés à la mort. Mais le but ultime est la fusion avec l'univers ; le retour avant le big-bang originel, dans l'œuf cosmique ; d'où la couleur du vêtement des Yamabushi qui est de la couleur du liquide amiotique

" C'est après avoir fait le parcours de l'Ominé, que l'on comprend le sens de ces pratiques " aiment à répéter les vieux Yamabushi aux débutants qui affrontent ces sommets pour la première fois. Pour celui qui l'emprunte, le trajet dans la montagne peut revêtir de multiples significations : Gage de pouvoirs ou de guérison, recherche de l'ouverture de l'esprit, accomplissement d'un vœu ou d'un souhait... Il symbolise également le retour vers la matrice originelle d'où le Yamabushi sort régénéré. Emergeant des " montagnes spatiales ", il renaît purifié en marche vers un nouveau destin.

Film par JM Abela et Mc Guire sur la pratique moderne du shugendo selon le moine Kosho

 

Film par les soeurs Roth sur le shugendo d'après les textes anciens japonais

         

 


 

Le Shugendô et mouvements sectaires

Je souhaiterais mettre en garde le lecteur sur plusieurs point précis :

En anglais, il était coutumié d’appeler une école bouddhiste « sect. » mais ce terme a dégénéré en français pour prendre une connotation pathologique qualifiant les nouveaux mouvements religieux qui, sous le couvert d’une tradition ancestrale, font de l’argent, privent les individus de leur liberté et sont donc aux antipodes de la doctrine bouddhiste.

En français le mot « secte » sonne très mal, de même que le mot « doctrine » qui semblent synonymes « d’œillères » !

Le shugendo n’est pas une secte au sens péjoratif ! C’est une tradition fort ancienne qu’il faut mériter pour avoir : maîtrise du langage japonais, pouvoir rester longtemps pour étudier au Japon et pratiquer; passer des  examens pour pouvoir aller plus profondément dans l’étude. Comme les chevaliers de la quête du Graal, le shugendo fût plus un Ordre Spirituel qu’un mouvement religieux au départ, même si son statut désormais est au Japon celui d’école bouddhique. De surcroît, le shugendô traditionnel ne fait jamais de prosélytisme ! Il ne cherche pas à grandir en nombre, mais à perpétuer une tradition millénaire.

La tradition du temple impérial Samboin est l’une des plus anciennes de Kyoto, puisque le shugendô est la première religion  historiquement du Japon. Bon nombre de « sectes » nouvelles du Japon, avec des individus vêtus comme des yamabushi, sèment la confusion dans la conscience de ceux qui ne connaissent pas le véritable Shugendô et qui s’empressent de montrer une mauvaise image folklorique...

Bon nombre d’écoles japonaises ancestrales du bouddhisme ésotérique (mikkyo) ne sont pas tous des modèles de vertus, notamment dans le Shingon ou le Zen et même au sein des "nouveaux shugen". C’est un véritable fil d’Ariane qu’il faut suivre dans ce labyrinthe des sectes nouvelles, des écoles tandencieuses et celles à buts mercantiles. Il m’a fallu vingt ans pour trouver enfin ce joyaux rare qu’est une école sincère et véritable, garant des traditions et des individus.

Mais attention pour en devenir membre, point de carte membre de clubs à remplir ou de cotisations annuelles à payer…

Etre Yamabushi n’est pas simple ; il faut le mériter ! Le shugendo des vieux temples Sanboin, Kimpusenji, Shogoin, Seigandoji et Haguro Shozenin, est digne de confiance, car une véritable Tradition ancestrale est présente, digne d’intérêt et ne peut être assimilée à une « secte malsaine ».

Je ne puis en dire autant pour les nouvelles écoles qui se présentent comme "Shugen ancien" (notamment celle en préfecture de Yamagata, où sont formés en quelques jours des "mika-shugenja"); ces nouveaux groupes utillisant l'appelation prétentieuse "d'Ancienne Ecole du Shugen",  faisant souvent leurs cérémonies folkloriques en tenue de yamabushi !

Méfiance et vigilance !

J'ai mis plus de dix ans avant d'être accepté par les temples traditionnels de 3 Grandes Congrégations !

J'ai étudié  durant 12 années au Japon, au sein de monasteres, et pratique depuis 1981.  Ceci est un indice…

Si on vous dit oui trop vite, méfiez vous, c’est peut-être un piège d’une secte !

 

 

au camp de base de l'Anapurna en novembre 2011

Agé de 88 ans en 2021, le Supérieur Général des Yamabushi du temple Shogoin s'est rendu en 2011 au camp de base de l'Everest / Anapuruna en novembre 2011 afin de réaliser une cérémonie du feu pour la paix mondiale et prier pour les victimes du tsunami du 11 mars 2011 (Kyoto newspaper du 6 décembre 2011)

 

 

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